La superposition des transparences
On part toujours du corps dans sa transparence, dans la proportion d’une longueur par rapport à une autre ; le corps dans son agilité, sa fragilité, ses accidents de parcours.
De ces accidents, Eska Kayser fait toute une histoire fine. De la douleur d’os, elle joue l’organe, la souffrance de la ligne qui en nait, de la brillance d’une radio dans la transparence du noir, devenue miroir de l’âme qui fut errante et dont elle fixe les instants, instants de brèches vers des histoires d’ailleurs et autres histoires depuis Bosch à Dürer et autres voyages.
Des animaux passent dans leur ombre épaisse et bleue et parfois le dessin s’y aiguise jusqu’à une nouvelle transparence. Il s’aiguise en violon surgi dont le trait parvient jusqu’au tympan, sans grincer, juste pour percer cette lucidité sans mot qu’est la peinture des corps transformés où tout s’affine comme si le corps portait tout son monde en sac à dos.
Toute une vie de peintre pour aiguiser un état d’être où la transparence des mémoires passe et se superpose.
***
Eska Kayser propose un travail original dans son exposition au titre évocateur, les Opalines. En écho avec une année 2021 marquée par la question sanitaire, elle a choisi des radiographies comme support de sa création. Loin de les effacer sous sa peinture, toujours très vive, elle fait apparaitre leur matérialité par leur orientation et, parfois, par les numéros qui les placent dans une série. Surtout, elle met en valeur leur fonction d’introspection des corps en revoyant leur lumière « opaline », entre vert et bleu, à la dimension sacrée du vitrail. Dans ce cadre, elle anime avec virtuosité des formes aériennes – de la sylphide à la chèvre ; elle joue avec humour de certains motifs ; elle ose faire danser des silhouettes à proximité d’un ailleurs émaillé de vertèbres désolidarisées. On pense à Chagall devant certaines œuvres, on se plait à rêver, à vouloir s’échapper du cadre, avant de revenir vers les tableaux et d’admirer, au-delà de leur fluidité éphémère, leur rigueur et leur équilibre teinté d’une douce mélancolie.
***
J’ai mal au corps,
Echouée
Sur la rive de ta peau
Mouillée.
Ivre,
Je chavire à ton flanc
Aimé.
Je tangue,
Cramponnée
A ton mat
Dressé.
Jusqu’à l’ultime vague,
Ton vaisseau
M’emporte
Au-delà
De moi-même.
Mon Amour.
***
Les Transparences du dedans
Eska Kayser habite les ténèbres. Comme par effraction, elle œuvre dans les dedans de la plus pure nudité. Elle capte de passantes esquisses charnelles, étranges tracés de transparences corporelles, toutes issues des confins. Somptueuses passerelles vitales.
Entre opacité et brillance, entre présence et absence, flottent ces formes aériennes, éphémères et mouvantes. Figuration hésitante et distancée, marquéeée d’extrême sensibilité et d’extrême fluidité.Méticuleuses et mystérieuses scénographies d’intériorité infinie, au cœur abandonné de l’intracorporel.
Dans sa béance créatrice, Eska Kayser s’élance des souterrains de l’opacité. La fragilité tressaillante est son territoire, et l’abîme est son horizon. Elle n’en finit pas, avec une subtile et crue délicatesse, de préférer les virtualités des sources graphiques aux épuisements du trop-dit des images.
La chromatique, allusive et discrète, est une poussière sans poids qui saupoudre de presque rien ces humaines allures enfin délivrées.
***
Par-delà le corps transparent
Fidèle à elle-même, la dernière production artistique d’Eska Kayser (2021) continue de relever plusieurs défis : celui de la privation d’atelier (confinement oblige), celui du changement de support (radiographie médicale en lieu et place de la toile de lin), celui de la technique (huile sur acrylique, ciment et colle), celui des illusions réinventées (le corps transparent suscitant de nouvelles représentations), celui enfin de la couleur imposée par le cliché (bleu métallisé) et de la qualité intrinsèque de l’image radiante (contraste, grain et netteté astreignants.)
Plus que jamais, Eska nous étonne et nous donne à voir des formes et des superpositions de plans très singulières. On revient aux sources du surréalisme façon Lautréamont, c’est « beau comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie. »
Son goût pour le vaporeux est comblé par l’image irradiée d’os, d’organes ou de tissus mous dont elle joue pour introduire le mouvement, réalisant ainsi une impressionnante scénographie où des figures flottent dans un onirique ballet.
Matité et brillance des noirs, déclinaison de bleus, verts et ocres côtoient des couleurs plus vives qu’à l’ordinaire au service de surprenantes métamorphoses : la robe du cheval ou du taureau est jaune, celle du cervidé bleue.
Ce dernier travail, véritable corps à corps avec la contrainte, s’affirme comme la quintessence d’une vie d’artiste plasticien : simplicité, acuité et poésie habitent ces images dont se dégage une émotion nouvelle, libérée de la difficulté d’être femme et affranchie de toute forme de combat. Un apogée, en somme.
la peinture d’Eska Kayser appelle aux voyages intérieurs.
Chaque toile, par l’harmonie de sa structure, ouvre grand sa porte.
Par ses formes rigoureuses, singulières, néanmoins familières, elle attire le regard.
Intrigué, le visiteur s’y dirige ; aspiré par ce qu’il pressent, il entre dans le tableau. (…)
La peinture d’Eska raconte l’humain, la femme, l’homme, l’enfant.
L’humain enraciné dans la terre par roches, herbes et fleurs
L’humain dans la profondeur de ses rêves, de ses visions flottantes et fugitives. (…)
Le visiteur s’attarde longuement devant certaines toiles,
elles le touchent infiniment, dépassent son entendement.
Il n’en pourra rien dire ; elles resteront ancrées en lui.
———-
(…) Travail d’épure jusqu’à des formes minimalistes, travail d’attention et de réflexion pour rendre au plus près l’essence même de ce qui est là, absolument là, sous le regard.
Loin de toute figuration qui double le réel immédiat, Eska Kayser cherche par son travail rigoureux avec la matière à rendre ces formes signifiantes. (…)
Le thème de la femme revient très souvent dans ses œuvres, sous forme de variations, chacune cherchant à saisir ce qui en fait le mystère. Les formes s’enchaînent, se lovent pour porter ce mystère au plus près de s’éclore. Le travail d’Eska Kayser est un hymne à la vie. Sa création s’en nourrit.
———-
Eska Kayser est une immense artiste. J’admire ses œuvres depuis longtemps. Elle m’a appelée un jour pour me proposer de faire se rencontrer nos formes d’art respectives, à l’occasion d’un concert. L’idée m’est venue de lui soumettre ce point de départ, Cendrillon, dont j’avais au préalable extrait plusieurs thèmes, à partir desquels nous serions libres d’emprunter les chemins qui nous ressemblent. Les peintures qui illustrent le livret n’ont pas toutes été conçues à la même période. Pourtant, elles portent la mémoire visuelle de ce moment de fusion. Elles contiennent dans mon cœur une valeur affective forte.
————
Eska Kayser laisse s’évader la ligne en souplesse comme s’il s’agissait de la germination d’une graine d’automne, cette ligne empruntée au modèle initial s’en échappe et s’épanouit librement…
Dans la peinture d’Eska Kayser, de grands yeux face aux nôtres posent ce va-et-vient d’interrogations. Son monde vole vers nous mais également nous entraîne vers ses doutes, d’où partent les rêves… Qui est déterminant ? Chacun dépend de l’autre…
Tout vibre…
Les extrêmes se touchent, explosent, interfèrent.
———-
Le ton mat du jute fait naître par des ocres, des couleurs pures ou de bronze, d’aluminium et de blancs violents, têtes et corps croisés, troués d’ogives, visages d’ogives, autant d’autoportraits anonymes.
————
Puissante génération de la vie, capacité d’engendrer le multiple, admiration d’une nécessité qui paraît arbitraire tellement elle est mystérieuse, voilà ce qu’Eska Kayser, dans son langage graphique, a saisi de la méditation du biologiste devant l’inépuisable beauté des formes vivantes.
————
Chaque tableau est une énigme, un choc parfois. Mais se perçoit d’emblée la cohérence de l’œuvre, celle du style comme celle du message. On peut se risquer à en imaginer la genèse. À l’origine, peut-être, le sens fut premier, né d’un regard sur l’humain, sur la foule, sur les relations entre les êtres…
————
Ainsi se définit, au fil d’une création sans complaisance, une œuvre qui grâce à la richesse de l’imaginaire, l’originalité des formes, la dynamique des structures et la subtilité chromatique nous offre de perpétuelles découvertes.
————
Loin des inconstances de la mode, Eska Kayser poursuit une recherche fondée avant tout sur la liberté, l’exigence, l’authenticité. Par la grâce d’une sensibilité aiguë et ardente, son œuvre est profondément en phase avec les interrogations essentielles de nos contemporains.
————
Véritable peintre, Eska Kayser est aussi un dessinateur accompli. Son graphisme est grinçant, bien construit, il cingle la feuille de papier ou la toile avec un mélange de brutalité et de délicatesse. Cette artiste a une conscience aiguë de la réalité, un désir de justesse, une sensibilité exacerbée où s’affrontent une rude pudeur et une subtile tendresse.
Au détour de la virtuosité d’une courbe, dans l’épaisseur d’un ton pur, surgit une forme simple:une demi-pomme, un téléphone, un parapluie… Le rappel du quotidien apporte une note humoristique à cette peinture matériellement très diverse.
————
Elle peint par symboles mais garde ses secrets. Une sorte de détresse muettement exprimée par des visages écrasés par le poids de cruels destins. Fruits, cerises et pommes seraient-ils des symboles de vie dans ce chaos qui évoque irrésistiblement l’oppression et la mort ?
————
Eska Kayser a su s’évader de l’académisme sans tomber dans les jeux de l’abstraction et se créer un style libre, large, personnel. Elle explore l’espace avec une angoisse bouleversante, les têtes se dédoublent, les membres se multiplient dans une tension éperdue entre les contradictions déchirantes de l’existence.
————
Eska Kayser fait évoluer la figuration à sa manière en donnant à la puissance du trait, à la poésie éloquente de la couleur, la signification des états de l’âme de ses personnages.
————
Une peinture très franche, très directe. Une facture affranchie de toute contrainte.
————
Ses toiles ressemblent souvent à des cris de douleur ou de haine, un univers de poète, serré sur l’homme, tantôt replié sur soi comme une malédiction, tantôt dilaté en typhons, presque candide.
————
Dans son « couple » opposition de clairs et de sombres, la pâte est forte, la composition recherchée. L’éternel féminin n’y parait pas extrêmement flatté. Cette jeune artiste a de la personnalité et du courage.
————
Eska Kayser cultive un registre large et libre malgré le classicisme de ses recherches.
————
On peut compter sur Eska Kayser, artiste qui ose nous parler d’elle-même avec chaleur et simplicité.
————
Eska Kayser construit solidement ses œuvres qui font preuve d’un naturalisme ferme mis en valeur par une pâte vigoureuse.
————
Eska Kayser affirme ses promesses et dégage désormais un style solide, une palette sobre.
————
Il est impossible d’être insensible devant la vision de l’artiste. Ce n’est pas insolite, c’est étrange. Ce n’est pas surréel, c’est réel. Une lamentation qui vient de très loin, aiguë, humaine.
Vous devez être connecté pour poster un commentaire.